Cour d’appel de Paris, 4 juin 2025 – RG n° 22/13924
Contexte factuel et procédural du litige en assurance habitation
L’espèce soumise à l’appréciation de la Cour d’appel de Paris concernait un contrat d’assurance habitation souscrit par Madame Y auprès d’une compagnie d’assurance pour un bien immobilier mis à la disposition de sa fille. À la suite d’un vol avec effraction survenu entre le 7 août 2018 et le 5 septembre 2018, l’assurée procéda à la déclaration du sinistre en produisant divers justificatifs destinés à établir la valeur des biens dérobés.
L’assureur, après expertise initiale et investigations complémentaires, décela des irrégularités dans les pièces justificatives communiquées et opposa en conséquence une déchéance de garantie fondée sur la fausseté des factures produites.
Déroulement de l’instance : position des juridictions civiles
En première instance, le tribunal judiciaire de Bobigny avait partiellement accueilli les prétentions de l’assureur en condamnant Madame Y au remboursement de 1 088,04 euros correspondant aux sommes indûment versées. L’assurée interjeta appel de cette décision, tandis que la compagnie d’assurance formait un appel incident aux fins d’obtenir le remboursement intégral de l’ensemble des débours engagés.
Caractérisation des éléments constitutifs de la fraude à l’assurance
La juridiction d’appel a procédé à l’examen minutieux des pièces litigieuses et a relevé l’existence de plusieurs indices concordants établissant la fausseté des justificatifs produits :
1. Concernant la facture relative au vélo électrique
L’analyse de cette pièce a révélé de multiples anomalies :
- Incohérences dans les références produit : La référence du vélo mentionnée au titre de la commande différait de celle indiquée au titre de l’éco-participation
- Erreurs de calcul fiscal : Le montant toutes taxes comprises ne correspondait pas au résultat de l’application du taux de TVA au prix hors taxes
- Confirmation formelle du vendeur : L’enseigne Cdiscount a expressément confirmé l’inauthenticité de la facture, précisant notamment l’inexistence de la commande et du compte client correspondants.
2. S’agissant des factures relatives aux bijoux
Les investigations ont mis en évidence :
- Duplication du numéro de transaction : Les deux factures portaient un numéro de ticket de carte bancaire identique, circonstance comptablement impossible
- Non-conformité à la réglementation comptable : L’absence de numérotation des factures contrevenait aux obligations légales en matière de facturation
Enseignements jurisprudentiels : cadre juridique de la déchéance de garantie
Mise en œuvre de la déchéance de garantie
La Cour réaffirme l’application rigoureuse d’un article des conditions générales qui dispose que “sous peine de déchéance et sauf cas fortuit ou de force majeure, est passible de la sanction de la déchéance, l’assuré convaincu de fausse déclaration intentionnelle sur la date, les circonstances ou les conséquences apparentes d’un évènement garanti”.
Principe fondamental : La déchéance de garantie ne requiert pas que l’intégralité de la déclaration de sinistre soit entachée de fausseté. L’existence d’éléments erronés dans une partie de la déclaration suffit à justifier l’application de cette sanction à l’ENSEMBLE du sinistre.
Étendue du pouvoir d’appréciation du juge civil
L’arrêt précise la délimitation des compétences juridictionnelles en matière de faux. Si le juge civil ne saurait caractériser l’infraction pénale de faux en écriture, il demeure compétent pour apprécier la véracité des documents produits et “tirer les conséquences d’une suspicion de fraude” dans le cadre de l’instance civile.
Portée de l’obligation de justification incombant à l’assuré
La décision réitère l’obligation contractuelle pesant sur l’assuré de « justifier de l’existence et de la valeur des biens pour en demander l’indemnisation » conformément à l’un des articles présents dans les conditions générales. Cette obligation revêt un caractère impératif et sa violation constitue un manquement contractuel susceptible d’entraîner la déchéance de garantie.
Conséquences patrimoniales de la décision pour l’assurée
Perte totale du droit à indemnisation : portée de la déchéance de garantie
L’assurée se trouve privée de toute indemnisation au titre du sinistre, y compris pour les biens effectivement dérobés, la production de justificatifs falsifiés entraînant l’application de la déchéance à l’intégralité de la déclaration.
Remboursement des sommes indûment versées par l’assureur
La juridiction d’appel a condamné l’assurée au remboursement des débours de l’assureur, établis comme suit :
- Frais de réparation du logement : 1 034,75 euros
- Frais d’expertise : 636,24 euros
- Frais d’enquête : 451,80 euros
- Montant total : 2 122,79 euros
Application des sanctions procédurales
L’assurée a été condamnée au paiement d’une indemnité de 1 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens des deux instances.
Observations critiques et recommandations pratiques pour les professionnels de l’assurance
Proportionnalité de la sanction de déchéance
La déchéance totale de garantie, y compris pour les biens authentiquement dérobés, peut paraître d’une sévérité excessive, mais elle répond à une logique dissuasive assumée par les juridictions et s’inscrit dans une politique de lutte contre un phénomène préjudiciable à l’équilibre du système assurantiel.
Évolution des méthodes probatoires
L’affaire démontre la sophistication croissante des méthodes d’investigation mises en œuvre par les assureurs, notamment :
- La vérification auprès des fournisseurs et vendeurs
- L’analyse technique des documents comptables
- La constitution de dossiers probatoires documentés
Recommandations à l’attention des assurés
Cette jurisprudence appelle les assurés à la plus grande vigilance :
- Conservation rigoureuse des justificatifs d’achat originaux
- Transparence absolue dans les relations avec l’assureur
- Renonciation à toute tentative de majoration frauduleuse des préjudices
Implications pour la pratique assurantielle
Pour les professionnels de l’assurance, cette décision souligne l’importance :
- D’une politique d’investigation structurée et documentée
- De la conservation de l’ensemble des échanges avec les tiers
- De la formation des équipes aux techniques de détection de la fraude
Portée jurisprudentielle et perspectives d’évolution en matière de fraude à l’assurance
Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante sanctionnant sévèrement la fraude à l’assurance, tout en révélant l’adaptation des méthodes de contrôle à l’environnement numérique contemporain. Elle confirme l’approche répressive adoptée par les juridictions face à un phénomène qui représente un coût significatif pour l’économie de l’assurance.
Les vérifications électroniques et la collaboration renforcée entre assureurs et fournisseurs constituent désormais des éléments déterminants dans la détection et la caractérisation des tentatives de fraude.
Conclusion
L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 4 juin 2025 constitue une illustration remarquable de l’approche jurisprudentielle contemporaine en matière de répression de la fraude à l’assurance. Cette décision rappelle les risques encourus par les assurés tentés par la falsification de justificatifs, lesquels s’exposent non seulement à la perte totale de leur garantie, mais également à des sanctions financières.
Pour les praticiens du droit des assurances, cette jurisprudence souligne l’importance d’une approche rigoureuse tant dans la vérification des justificatifs que dans la documentation des investigations menées par les compagnies d’assurance. Elle confirme également l’évolution des méthodes probatoires à l’ère numérique et la nécessité d’une adaptation constante des pratiques professionnelles.