La déchéance de garantie constitue l’une des sanctions les plus importantes dont dispose l’assureur à l’encontre de son assuré en cas de manquement aux obligations contractuelles. Cette sanction, encadrée par le Code des assurances et précisée par une jurisprudence abondante, mérite une analyse approfondie tant dans ses fondements que dans ses conditions d’application.
I. Qu’est-ce que la déchéance de garantie en assurance ?
A. Définition de la déchéance de garantie en assurance
La déchéance de garantie se définit comme la privation du droit pour l’assuré à être indemnisé en raison d’une ou plusieurs fautes par rapport aux obligations contractuelles. Il s’agit d’une sanction conventionnelle qui prive l’assuré du bénéfice de la garantie pour le sinistre considéré, sans pour autant entraîner la résiliation du contrat.
B. Distinction avec l’exclusion de garantie et la nullité du contrat
La déchéance de garantie doit être distinguée de l’exclusion de garantie, qui est une limitation permanente de la couverture, et de la nullité du contrat, qui anéantit rétroactivement les effets du contrat. Malgré la déchéance, le contrat d’assurance reste en vigueur et les primes demeurent dues.
C. La nature conventionnelle de la déchéance de garantie
La déchéance de garantie est une sanction conventionnelle, qui peut être librement stipulée par les parties. Elle trouve sa source dans une clause contractuelle et non dans la loi, contrairement à certaines nullités légales.
II. Cas de déchéance de garantie : déclaration tardive, aggravation risque, fraude
L’article L. 113-2 du Code des assurances énumère les principales obligations de l’assuré dont la violation peut donner lieu à déchéance. Les cas les plus fréquents sont les suivants :
A. Déclaration tardive de sinistre : nouvelle obligation de preuve du préjudice
L’assuré est tenu de donner avis à l’assureur, dès qu’il en a eu connaissance et au plus tard dans le délai fixé par le contrat, de tout sinistre de nature à entraîner la garantie de l’assureur. Ce délai ne peut être inférieur à cinq jours ouvrés.
La déchéance pour déclaration tardive est soumise à des conditions. La déchéance pour déclaration tardive ne peut être opposée à l’assuré que si l’assureur établit que le retard dans la déclaration lui a causé un préjudice. Elle ne peut également être opposée dans tous les cas où le retard est dû à un cas fortuit ou de force majeure.
B. Aggravation du risque en cours de contrat d’assurance
L’article L. 113-2, 3° du Code des assurances impose à l’assuré de déclarer en cours de contrat les circonstances nouvelles qui ont pour conséquence soit d’aggraver les risques, soit d’en créer de nouveaux et rendent de ce fait inexactes ou caduques les réponses faites à l’assureur.
Le défaut de déclaration d’aggravation du risque peut entraîner la déchéance de garantie si cette obligation est expressément sanctionnée par une clause du contrat.
C. Surévaluation frauduleuse des dommages : sanction et preuve
La surévaluation frauduleuse des dommages constitue un manquement grave aux obligations de l’assuré qui justifie l’application d’une déchéance de garantie. Cette sanction vise les cas où l’assuré majore volontairement et de mauvaise foi l’évaluation de ses préjudices.
D. Autres manquements contractuels
D’autres obligations peuvent être sanctionnées par la déchéance selon les stipulations contractuelles : défaut de mise en œuvre des mesures de prévention, non-respect des obligations de sauvetage, etc.
III. Validité des clauses de déchéance : conditions légales et jurisprudentielles
A. Conditions de forme de la clause de déchéance de garantie
1. Caractères très apparents : exigence de l’article L. 112-4 du Code des assurances
Selon l’article L. 112-4 du code des assurances, les clauses des polices édictant des nullités, des déchéances ou des exclusions ne sont valables que si elles sont mentionnées en caractères très apparents.
Cette exigence de forme vise à attirer l’attention de l’assuré sur les sanctions encourues en cas de manquement à ses obligations.
2. La précision et la clarté de la clause de déchéance de garantie
Les clauses de déchéance doivent être rédigées de manière précise et non équivoque. Elles doivent permettre à l’assuré de connaître exactement les comportements susceptibles d’entraîner la sanction.
B. Conditions de fond de la clause de déchéance de garantie
1. L’acceptation par l’assuré de la clause de déchéance de garantie
Il convient notamment de démontrer que l’assuré avait eu connaissance de la clause de déchéance et l’avait acceptée. L’assureur doit établir que l’assuré a effectivement pris connaissance de la clause et l’a acceptée (Civ. 2e, 15 sept. 2022, F-B, n° 21-12.278).
2. La proportionnalité de la clause de déchéance de garantie
La jurisprudence récente s’interroge sur l’exigence de proportionnalité de la déchéance. Dans un arrêt rendu le 15 décembre 2022 (Cass. Civ. 2eme 15 déc.2022, 20-22.836), la Cour de cassation s’est penchée sur la question de l’étendue de la déchéance et de sa proportionnalité au manquement reproché.
3. La démonstration du préjudice (pour certains cas)
Pour la déclaration tardive de sinistre, la loi exige que l’assureur démontre le préjudice subi du fait du retard. Cette condition constitue un tempérament important au principe de la déchéance automatique.
IV. Limites jurisprudentielles et légales à la déchéance de garantie
A. Les limites légales à la déchéance de garantie
Certaines situations excluent l’application de la déchéance :
- Le cas fortuit ou la force majeure pour la déclaration tardive (article L.113-2 du Code des assurances) : L’article L. 113-2 du Code des assurances prévoit expressément que la déchéance pour déclaration tardive ne peut être opposée dans tous les cas où le retard est dû à un cas fortuit ou de force majeure. Cette exception légale protège l’assuré lorsque le retard de déclaration échappe à son contrôle.
- L’absence de préjudice pour l’assureur en cas de déclaration tardive (loi du 28 février 2022) : La déclaration tardive ne peut être opposée à l’assuré que si l’assureur établit que les retards dans la déclaration lui a causé un préjudice.
- Les assurances obligatoires où la déchéance ne peut être opposée aux tiers (article L.211-1 du code des assurances) : En matière d’assurance automobile obligatoire, les déchéances de garantie ne peuvent être opposées aux victimes. L’assureur doit indemniser les tiers puis exercer un recours contre l’assuré déchu. Cette règle s’applique également aux autres assurances obligatoires.
V. Effets de la déchéance : conséquences pour l’assuré, les tiers et l’assureur
A. Les conséquences de la déchéance pour l’assuré
La déchéance prive l’assuré du droit à indemnisation pour le sinistre considéré. Toutefois, le contrat d’assurance subsiste et l’assuré reste tenu au paiement des primes.
B. Les conséquences de la déchéance à l’égard des tiers
En matière d’assurance de responsabilité, le tiers ne pourra pas invoquer un manquement au formalisme prévu par le code des assurances. Le formalisme n’est déterminant que pour l’assuré.
En assurance obligatoire, l’assureur doit indemniser les victimes puis exercer un recours contre l’assuré déchu.
C. Le recours de l’assureur
En cas de déchéance de garantie à l’occasion d’un sinistre ayant entraîné des dommages à des tiers, l’assureur les indemnise au titre de la garantie de responsabilité civile, mais engage ensuite une procédure dite récursoire à l’encontre de l’assuré en vue d’un remboursement des sommes engagées.
Conclusion
La déchéance de garantie demeure un instrument essentiel de la police des contrats d’assurance, permettant aux assureurs de sanctionner les manquements de leurs assurés. Toutefois, son application est de plus en plus encadrée par le législateur et les juges, dans un souci de protection de la partie faible au contrat. La récente évolution législative concernant la déclaration tardive de sinistre illustre cette tendance au renforcement des droits de l’assuré, obligeant les praticiens à une vigilance accrue dans la rédaction et l’application des clauses de déchéance.
Les compagnies d’assurances doivent désormais démontrer avec précision le préjudice subi pour certains types de déchéances, ce qui implique une documentation rigoureuse des dossiers et une appréciation au cas par cas de l’opportunité d’invoquer cette sanction.